Des femmes savantesLe jury s’est unanimement enthousiasmé à la lecture de ce recueil de nouvelles qui réunit de nombreuses qualités littéraires.

L’auteure a d’abord su tirer le meilleur parti d’un fait divers qui aurait pu ne constituer qu’un autre mystère irrésolu dans les archives judiciaires, ne laissant d’autre souvenir que celui du décès inexplicable d’une femme, dont le corps fut effectivement retrouvé en 2001 dans le stationnement de l’hôpital Royal Victoria. Mais, s’inspirant de la réaction populaire qu’a suscitée l’enquête entourant l’identité du cadavre, l’auteure a imaginé différentes vies à cette femme, proposant de la sorte des variations sur le thème de l’inconnue morte dans l’indifférence. Elle a ainsi conçu une œuvre d’une grande cohérence dans sa diversité, en exploitant avec art les ressources de la forme du recueil.

Cette structure ingénieuse et fructueuse ne serait qu’une belle trouvaille si l’écriture n’était à la hauteur des ambitions du projet. Or, la qualité de l’écriture est sans doute la meilleure part de cette œuvre. Les dix destinées que l’écrivaine prête à cette Madame Victoria sont pour elle l’occasion de déployer un art du portrait dans lequel elle excelle, et ce, peu importe l’esthétique qu’elle adopte (réalisme, fantastique, science-fiction). Ces existences participent chacune d’un imaginaire singulier, nettement circonscrit par le style souvent brillant (la maîtrise de la comparaison en particulier est stupéfiante), toujours parfaitement ajusté à l’univers qu’elle propose. Les lecteurs traversent ainsi différents espaces-temps, suivant tantôt une fille-mère de la Côte-Nord contemporaine  («Victoria dehors »), tantôt la présence fantomatique d’une victime des expérimentations médicales d’un chercheur sans éthique (« Victoria en filigrane »), ici une esclave dans le Vieux-Montréal au lendemain de la Conquête (« Victoria amoureuse »), là un canon de beauté venu du 25e siècle (« Victoria dans le temps »). Toutes ces destinées s’achèvent et s’accomplissent au pied du mont Royal, dans une résolution chaque fois réinventée.